Agriculteurs et agrivoltaïsme : quels rôles dans la transition énergétique ?

Urgence climatique et impacts sur l'agriculture
Les changements climatiques affectent directement le secteur agricole. En 2024, l'agriculture française a connu l'une de ses pires années depuis un demi-siècle, avec des récoltes de céréales et de vin particulièrement touchées.
La moisson de blé tendre a notamment reculé de près d’un quart par rapport à 2023, avec 26,3 millions de tonnes récoltées. C’est l’une des 3 pires récoltes depuis 40 ans.
Les sols sont également mis à rude épreuve par les aléas climatiques. Ils subissent une érosion accrue et une dégradation de leur qualité. Selon le ministère de la Transition écologique, les sols perdent chaque année en moyenne 1,5 tonnes de terre par hectare en raison du ruissellement des eaux.
L'accès à l'eau reste aussi une préoccupation majeure pour les agriculteurs. En 2024, 39 départements ont été soumis à des mesures de restriction des prélèvements d'eau au 23 août. L’irrigation agricole était notamment concernée.
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Un pessimisme croissant chez les agriculteurs
En seulement un an, le pessimisme des agriculteurs a augmenté de 6 points pour atteindre 40%. Ce sentiment est particulièrement marqué chez les producteurs ovins et caprins (50%, +16 points) et de grandes cultures (40%, +7 points).
La perte de production due aux aléas climatiques reste une préoccupation pour 34% des répondants. Par ailleurs, la moitié des agriculteurs placent la réduction du temps de travail parmi leurs priorités. Malheureusement, le contexte climatique et économique ne leur permet pas toujours d'atteindre cet objectif, ce qui peut amplifier leur mal-être.
L’agriculture a toujours su relever les défis
L’agriculture doit donc relever de nombreux défis liés aux changements climatiques. Cependant, c’est un secteur qui a toujours su traverser les crises et s’adapter. Aujourd’hui, les agriculteurs sont en première ligne pour développer des solutions innovantes. Ils sont même devenus des acteurs à part entière de la transition énergétique en France.
Les agriculteurs acteurs de la transition énergétique
La France s’est dotée d’une stratégie nationale pour atteindre la neutralité carbone tout en renforçant sa souveraineté énergétique. Elle prévoit des orientations dans tous les secteurs d’activité. L’agriculture a un rôle indispensable à jouer, puisque ses émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent baisser de 46% d’ici 2050.
La neutralité carbone, une question d’équilibre
Le Parlement Européen définit la neutralité carbone ainsi : « l’équilibre entre les émissions de carbone et l'absorption du carbone de l'atmosphère par les puits de carbone ».
Un puits de carbone est un système capable de capter et stocker durablement du carbone atmosphérique. En agriculture, les haies bocagères et les prairies permanentes sont des puits de carbone. Un travail du sol limité (semis direct, non labour…) ou l’implantation de couverts végétaux entre deux cultures favorisent aussi la séquestration du carbone dans les sols.
L’agrivoltaïsme : une des solutions pour décarboner la France
Pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone, le pays encourage donc les pratiques agricoles qui émettent moins de GES. C’est le cas de l’agriculture biologique ou de l’agro-écologie. L’agro-écologie regroupe des pratiques agricoles qui combinent productivité, respect de l’environnement et résilience face au changement climatique. Exemples : réduction du travail du sol, associations de cultures, gestion écologique des ravageurs…
Le plan prévoit aussi le développement de la bioéconomie, c’est-à-dire l’économie du vivant. Cette approche se base sur l’utilisation de ressources renouvelables pour fournir de l’énergie et des matériaux moins émetteurs de GES. C’est dans cette optique qu’intervient l’agrivoltaïsme. Son développement est d’autant plus souhaitable que le mix énergétique français doit être complètement décarboné en 2050.
>> À lire : La stratégie énergétique française et le déploiement des énergies renouvelables
Produire de l’énergie verte localement avec l’agrivoltaïsme
Le mix énergétique est également nécessaire pour garantir l’indépendance énergétique en région. L’intégration aux réseaux électriques devient possible grâce à l’injection de l’énergie produite localement. En accueillant un projet agrivoltaïque sur leurs parcelles, les agriculteurs participent donc à stabiliser et mieux répartir l’électricité sur leur territoire.
De même, les exploitations agricoles qui auto-consomment leur production d’énergie deviennent plus indépendantes des énergies fossiles et leurs coûts énergétiques sont réduits. L’accompagnement des politiques publiques (subventions, soutien, …) en font une technologie d’avenir sur le territoire.
L’agriculteur, un producteur d’énergie renouvelable
Le métier d’un agriculteur est avant tout de produire des biens alimentaires. En plus de cette activité principale, il est aussi devenu, depuis une quinzaine d’années, un producteur d’énergie verte. Sur son exploitation agricole, il dispose en effet de surfaces disponibles pour déployer des énergies renouvelables.
Ainsi, l'agrivoltaïsme émerge comme une innovation prometteuse, conciliant production agricole et production d'énergie verte. La loi d’Accélération de la Production d’Energies Renouvelables (APER) le définit ainsi : « une installation de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole, où ils contribuent durablement à l'installation, au maintien ou au développement d'une production agricole ».
La loi APER a pour objectif de développer l’agrivoltaïsme sur 43 600 ha d’ici 2028, en France. Cela représente 0,2% de la surface agricole utile.
>> À lire : Le cadre réglementaire de l'agrivoltaïsme pour préserver l’agriculture française
L’agriculteur s’engage dans la transition énergétique grâce à l’agrivoltaïsme
L’agrivoltaïsme représente une opportunité pour l’agriculture, et offre à l’agriculteur des solutions pour faire face aux impacts du changement climatique.
Une réglementation construite avec la profession agricole
La loi APER introduit des précautions quant aux risques d’artificialisation des terres agricoles. Il est obligatoire de maintenir une activité agricole sous les panneaux photovoltaïques, qui ne peuvent couvrir plus de 40 % de la parcelle. Cette double valorisation du terrain agricole optimise l’utilisation des surfaces en permettant la production d’une électricité décarbonée. Les exploitants agricoles génèrent ainsi une source de revenu complémentaire.
La réglementation sur l’agrivoltaïsme s’est mise en place en concertation avec la profession agricole. Cette dernière salue in fine une loi qui préserve le foncier et l’activité agricole. Elle reste toutefois vigilante quant à la mise en œuvre des solutions agrivoltaïques. La vocation d’un agriculteur est aussi de s’assurer de la durabilité de son bien le plus précieux.
Des cultures protégées grâce à l’ombrage
Le micro-climat sous les ombrages des panneaux solaires offre une diminution de 1 à 2°C lors des journées chaudes et ensoleillées. En protégeant les cultures contre les températures élevées, l’agrivoltaïsme limite l’évapotranspiration et le stress hydrique des plantes.
Par exemple, l’année a été chaude et sèche en 2022 à Amance (71). Sur le démonstrateur agrivoltaïque suivi par le développeur TSE, - 75% de jours de stress hydrique sur l’ensemble du cycle ont été observés sous la canopée agricole.
En 2024, l’année a été hors norme sur les démonstrateurs TSE d’Amance, Verdonnet et Brouchy. La pluviométrie a été importante, avec un faible rayonnement lumineux et peu d’extrêmes de température. Une légère diminution du rendement a été observée sous les installations agrivoltaïques en hauteur (canopée agricole) par rapport aux zones témoins.
En revanche, à Souleuvre-en-Bocage, dans le Calvados, les conditions climatiques de 2024 ont été similaires aux années précédentes. En août, le mois le plus chaud, le rendement sous la canopée agricole a atteint le double du rendement de la zone témoin.
>> À lire : Le rendement des cultures agricoles optimisé grâce à l'agrivoltaïsme
Des animaux d’élevage protégés du stress thermique
Les épisodes de canicule provoquent un inconfort extrême sur les animaux pendant l’été. Chez les vaches laitières, par exemple, la baisse de production peut être importante. En cause : le déficit énergétique entraîné par une baisse de l’ingestion et de l’instabilité ruminale. Pour estimer ce stress, on utilise l’indice THI*, qui combine les températures et l’humidité relative. Le THI permet donc d’évaluer le confort des animaux. Au-delà d’un certain seuil, les animaux sont en stress léger (78), modéré (78 à 88) ou marqué (supérieur à 88). Pour diminuer ce stress, il faut agir soit sur la température, soit sur l’humidité relative.
Selon une étude menée par l’Idele (Institut de l’élevage), l’ombrage des panneaux photovoltaïques diminue le stress thermique des vaches laitières au pâturage pendant l’été. Bien sûr, la hauteur des panneaux doit être suffisante pour ne pas gêner les animaux. Dans ce cas, les performances de production laitière, en quantité et en qualité, ne sont pas affectées. Loin d’entraver la production agricole, l’agrivoltaïsme constitue un levier pour une agriculture plus résiliente et adaptée aux changements climatiques.
Des agriculteurs qui raisonnent leurs choix culturaux
Jean Dayde, ancien directeur adjoint de l’Ecole d’ingénieurs agronomes de Purpan, à la retraite, souligne « l’efficacité de l’agrivoltaïsme pour protéger les cultures lors d’évènements climatiques extrêmes ». Il affirme qu’il faut raisonner la rotation et les itinéraires techniques de manière globale. Le choix des espèces à cultiver et les itinéraires associés sont des choix stratégiques pour se lancer dans l’agrivoltaïsme.
>>À lire : Agrivoltaïsme en France : quels avantages pour l’agriculture ?
L’agrivoltaïsme offre un revenu fixe, régulier et sur le long terme qui aide l’agriculteur à couvrir les coûts fixes de son exploitation. À l’heure où les aléas climatiques sont de plus en plus extrêmes, cette diversification contribue à sécuriser l’exploitation.
Les revenus prévisibles générés par cette activité facilitent également l’accès aux prêts bancaires. L’agriculteur peut ainsi investir dans de nouveaux équipements agricoles.
Energie et climat : l’agriculteur fait partie de la solution
Pour conclure, les agriculteurs sont des acteurs incontournables de la transition énergétique. Leur rôle ne se limite plus à la production alimentaire. Ils contribuent à gérer durablement les ressources naturelles et à produire de l’énergie renouvelable. Avec l’agrivoltaïsme, ils participent à réduire les GES et renforcent la résilience de leurs exploitations face aux aléas climatiques. Ils font partie de la solution pour renforcer la souveraineté énergétique en France, et pour atténuer les changements climatiques qui les frappent au quotidien.
* THI : température humidity index
Sources :
Fidocl – stress thermique des vaches
INRAE - L’agriculture face au changement climatique. Quels impacts et quelles solutions ?
Sénat, L'agriculture face au défi de la production d'énergie
FNSEA – Décrets sur l’agrivoltaïsme : la FNSEA salue une avancée majeure pour la profession
IDELE, L’agrivoltaïsme appliqué à l’élevage des ruminants.
Ministère de la transition écologique et solidaire - Stratégie nationale bas carbone
Baromètre PRISM 2024 : comprendre les craintes et la colère des agriculteurs
https://www.reussir.fr/sondage-10-chiffres-pour-comprendre-letat-desprit-des-agriculteurs
https://www.terre-net.fr/moisson/article/870099/la-recolte-2024-de-ble-tendre-s-annonce-comme-la-pire-depuis-40-ans
https://www.lafranceagricole.fr/irrigation/article/870930/des-restrictions-de-prelevements-d-eau-dans-39-departements