Agrivoltaïsme : Mathieu Debonnet, Président Fondateur de TSE, décrypte le décret

Agrivoltaïsme : Mathieu Debonnet, Président Fondateur de TSE, décrypte le décret

Après près d’une année de discussions, le décret encadrant l’agrivoltaïsme a été publié en avril dernier. Ce texte définit notamment la surface à couvrir des exploitations agricoles avec des panneaux solaires, ainsi que les limites de perte de rendement autorisées. Mathieu Debonnet, fondateur et président de TSE, expert reconnu en agrivoltaïsme, analyse ces nouvelles règles. Il explique comment elles visent à éviter les projets « alibis » et précise pourquoi TSE a choisi de respecter des seuils de couverture plus bas que ceux autorisés par la législation, pour ses panneaux solaires.

Êtes-vous globalement satisfait du décret sur l’agrivoltaïsme ? Comment les acteurs de la filière ont échangé avec les pouvoirs publics ?

Ce décret fixe un cadre que nous attendions depuis près d’un an. Il est le résultat d’un travail de longue haleine mené par l’administration, en lien avec les syndicats, dont France Agrivoltaïsme, les porteurs de projets et les organisations professionnelles agricoles. Tout l’enjeu était de définir des règles protectrices pour l’agriculture et opérantes pour les porteurs de projet. Concrètement, le point de départ était l’ambition posée par la loi : celle de concilier production d’électricité et production agricole, en gardant cette priorité donnée à la production alimentaire. Le décret traduit maintenant cette ambition en une grille d’évaluation afin que seuls des projets vertueux soient autorisés, des projets respectueux de l’agriculture et des agriculteurs. Et c’est bien comme cela que nous concevons l’agrivoltaïsme chez TSE !

Tous les thèmes ont été discutés, de la définition des services apportés à la parcelle agricole, en passant par le maintien des rendements, jusqu’à l’obligation de démantèlement en fin d’exploitation. Pour chacun de ces thèmes, des garde-fous majeurs ont été posés, ce qui donne un ensemble complet et cohérent.

Le décret permettra-t-il réellement d’éliminer tous les projets alibis ?

Le décret donne enfin aux services instructeurs des indications très claires pour évaluer les projets et ne retenir que ceux qui apportent réellement un service à l’agriculture. Ce texte comprend de nombreuses exigences sur la conception des installations et il fait de la préservation des rendements, un objectif incontournable. Le décret a ensuite été complété par un arrêté, signé le 5 juillet dernier, qui précise encore les modalités de suivi et de contrôle des installations, notamment en élevage.

Le nouveau cadre est complet et il faudra certainement un peu de temps pour que chacun s’approprie ces outils et qu’ils puissent être déployés sereinement. Pour cela, un guide de mise en œuvre est en préparation. En parallèle, les discussions s’organisent à l’échelle locale, avec les Chambres d’agriculture et les services de l’Etat, pour que les exigences du décret soient pleinement comprises et appliquées rigoureusement.

Avec nos équipes présentes localement, au cœur des territoires, nous contribuons à relayer ces exigences pour favoriser leur déploiement.

Un cadre national a été donné, mais quel sera le rôle des élus locaux sur ces projets ?

Le respect des critères du décret ne suffit pas pour obtenir l’autorisation d’urbanisme. Les projets doivent aussi obtenir un avis conforme des Commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Les représentants des Chambres d’agriculture y siègent notamment. En combinant les critères chiffrés du décret et l’évaluation qualitative des CDPENAF, on obtient un dispositif suffisamment robuste pour faire barrage aux projets qui ne donneraient pas la priorité à l’agriculture et risqueraient donc de déstabiliser l’économie agricole du territoire. Pour aller plus loin dans cette démarche, il faudrait maintenant renforcer le formalisme des avis de la CDPENAF et avoir une motivation systématique de ces avis. Cette transparence accrue serait un rempart supplémentaire contre les projets alibis.

Dans le cadre du décret, quels sont les principaux éléments qu’un projet agrivoltaïque doit respecter ?

Il y a 4 éléments principaux. Tout d’abord, le projet doit respecter un taux de couverture maximale de 40% et la perte de surface exploitable ne doit pas dépasser 10%. Ensuite, la moyenne du rendement par hectare observé sur la parcelle doit être au moins égale à 90% de la moyenne du rendement par hectare de la zone témoin ou du référentiel local. L’arrêté ministériel précise que le calcul sera fait sur la base de moyennes sur 5 ans, en excluant la valeur la plus élevée et la valeur la plus faible. Enfin, la moyenne des revenus de l’exploitation, en excluant le revenu tiré de l’installation agrivoltaïque, ne doit pas être inférieure à la moyenne des revenus avant implantation du projet.

Le taux de couverture de 40% maximum concerne-t-il également les prairies ?

Le taux de couverture maximale s'applique à tous les projets agrivoltaïques, qu'ils soient en culture ou en élevage. L’objectif de maintien des rendements à hauteur de 90% est également valable pour les deux activités. La seule différence concerne la zone témoin qui n’est pas obligatoire en élevage.

Sans cette zone témoin, comment calcule-t-on les objectifs de rendement minimum en élevage ?

L’arrêté du 5 juillet 2024 indique que pour l’élevage de ruminants, les objectifs de rendement seront vérifiés au travers de deux indicateurs : la production de biomasse fourragère et le taux de chargement. Ces indicateurs seront évalués en comparaison avec un référentiel local.  

Comment les critères, fixés par le décret, seront-ils contrôlés ?

Il y aura tout d’abord un contrôle préalable avant la mise en service de l’installation. Ensuite, un contrôle de suivi sera mis en place lors de la 6ème année d’exploitation, puis tous les 3 ou 5 ans pour vérifier ces éléments. Par ailleurs, des informations devront être transmises annuellement à l’ADEME.  

Les projets déjà déployés par TSE, respectent-ils ce nouveau décret publié en avril ?

Oui, nous avons anticipé plusieurs de ces éléments. Depuis 2022, nous mettons en place le plus grand démonstrateur agrivoltaïque au monde, avec de nombreux sites pilotes, répartis sur tout le territoire.  Ces sites suivent un protocole de tests scientifiques coconstruit et mené avec nos équipes d’experts agronomes en biologie végétale et animale et nos partenaires scientifiques et agricoles. Sur une durée comprise entre 3 à 9 ans, ces essais agronomiques permettront de démontrer la pertinence et l’efficacité de ce concept et de quantifier les effets bénéfiques attendus sur différents élevages et différentes cultures, rendement et qualité, et d’ajuster au fil de l’expérimentation les variétés, les conduites culturales et rotations. Cela nous permet d’accompagner au mieux les agriculteurs dans leur projet agrivoltaïque.

Y a-t-il des points du décret sur lesquels vous allez plus loin ?

Nous allons plus loin sur certains points du décret. Même s’il autorise un taux de couverture jusqu’à 40%, nous avons choisi de privilégier un taux de couverture d’environ 30% sur tous nos projets pour des raisons agronomiques. Nos ingénieurs agronomes ont simulé l’ombrage sur les prairies et les cultures à différents niveaux de densité et un taux de couverture à 30 % nous semble optimum, en l’état actuel des connaissances.

De plus, le décret autorise la mise en place de centrales au sol fixe sur jachère de plus de 10 ans. Or, nos solutions agrivoltaïques sur trackers génèrent un ombrage tournant qui contribue au maintien de la biodiversité sur la parcelle et protège les terres en jachère, plus fortement touchées par les aléas climatiques. Par conséquent nous privilégions une solution tracker plutôt qu’une structure fixe, y compris sur les terres agricoles inexploitées depuis plus de 10 ans.

Au-delà des jachères, vous privilégiez donc les systèmes de trackers ?  

Oui pour tous nos projets. Ce système de panneaux rotatifs assure un ombrage partiel et tournant sur toute la parcelle, tout au long de la journée contrairement aux solutions fixes. Les bénéfices agronomiques sont connus : une baisse des températures sur la parcelle et protection contre la luminosité excessive en période estivale, une limitation de l’évapo-transpiration, du stress hydrique et des économies en eau, ainsi qu’une diminution du risque de gel printanier. Pour l’élevage, l’ombrage améliore aussi le confort thermique des animaux.

Les détracteurs de l’agrivoltaïsme craignent une spéculation sur le foncier agricole, comment lutter contre ce phénomène ?

En complément des services agronomiques, l’agrivoltaïsme est aussi un outil de sécurisation des modèles économiques des exploitations grâce au versement d’une indemnité annuelle répartie entre le propriétaire foncier et l’exploitant agricole. Nos niveaux de loyers sont fixés pour assurer la viabilité du projet et aider les agriculteurs à maintenir leur exploitation. Nous refusons de jouer le jeu de la surenchère des loyers car cela se ferait au détriment de la qualité de nos solutions, et donc de notre capacité à développer des projets robustes, compatible avec les exigences du décret, et vertueux pour l’agriculture.  

Quid du partage de la valeur ajoutée avec les agriculteurs ?

Nous avons également mis en place une part de rémunération variable (avec minimum garanti) pour l’exploitant agricole. Elle est exprimée en pourcentage du chiffre d’affaires de la société de projet et permet d’associer directement l’exploitant aux revenus additionnels générés par une éventuelle surperformance de l’installation, qui s’expliquerait par un meilleur ensoleillement ou des prix de marché plus élevés par exemple. Le résultat obtenu est ainsi équivalent à celui d’une ouverture du capital des projets aux exploitants, sans la complexité de gestion administrative associée et en excluant le risque de perte en capital.

Faudra-t-il réfléchir à des projets qui ouvrent l’actionnariat à des coopératives ou à des collectivités locales afin de répartir la valeur ajoutée sur un territoire ?

Pour TSE, travailler avec des coopératives est un axe de développement fondamental car elles restent le premier acteur agricole d’un territoire. Cela nous permet de valider la pertinence de nos solutions et d’avoir un déploiement réfléchi de solutions agrivoltaïques sur le territoire. C’est aussi une réponse à cet enjeu de partage de la valeur et de ruissellement des retombées économiques à l’échelle du territoire d’implantation car le co-développement des projets bénéficie ensuite à l’ensemble des adhérents de la coopérative. Nous avons signé notre 1er partenariat avec Dijon Céréales lors de l’inauguration de la canopée agricole de Verdonnet en avril 2024, et un second partenariat avec Noriap le 29 avril 2024. D’autres partenariats sont en cours.

Le décret indique que les chambres doivent réaliser des « documents cadres », concrètement quel est l’objectif et comment travaillerez-vous avec eux ?

La loi prévoit que seuls des projets agrivoltaïques peuvent être développés sur terres agricoles, à l’exception des terres réputées incultes ou inexploitées depuis plus de 10 ans qui pourront toujours accueillir des projets photovoltaïques au sol sans coactivité. Les parcelles devront être identifiées dans un document cadre, que les Chambres d’agriculture sont chargées d’élaborer d’ici 9 mois. Les Préfets organiseront différentes consultations avant d’arrêter les documents cadres. Au premier semestre 2025, une cartographie identifiera les terrains agricoles susceptibles d’accueillir ces projets photovoltaïques au sol. Nous aurons alors un cadre entièrement finalisé avec d’un côté la norme, à savoir l’agrivoltaïsme, et de l’autre côté l’exception, à savoir le photovoltaïque au sol sur des parcelles ciblées.

Les terres agricoles sont-elles vraiment nécessaires pour développer la production d’énergie solaire ?

A fin mars 2024, nous sommes à 21,1 GW de parc solaire installé. Il nous reste donc environ 80GW à installer d’ici 2035 pour atteindre la cible de 100 GW annoncée dans la stratégie française énergie-climat.

A titre de comparaison, les friches industrielles représentent en potentiel réellement mobilisable environ 10GW.

Le déploiement de solutions agrivoltaïques sur terres agricoles est donc nécessaire pour soutenir la dynamique du solaire en France, en complément des déploiements sur les espaces artificialisés et les toitures. . Rappelons qu’il suffirait de moins de 0,5 % de la SAU française couvert par des solutions agrivoltaïques pour atteindre l’objectif de 100 GW demandé.